Avis
d'expert

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Interview de Gérard SEBAOUN, ancien député et médecin du travail

Dr. Gérard SEBAOUN-1-1

Gérard SEBAOUN
Ancien député et médecin du travail

Dans un premier temps, pourriez-vous vous présenter ?

Médecin du travail et cardiologue de formation, j'ai été élu député de 2012 à 2017, après une expérience d'élu local, membre de la commission des affaires sociales et Président du groupe d'étude santé au travail et pénibilité.

J'ai beaucoup travaillé sur la partie pénibilité de la loi Retraites de 2013 et fut rapporteur de la loi santé en deuxième lecture en 2015.

En 2017, je fus également rapporteur de la mission sur l'épuisement professionnel.

"La QVT est une chose trop sérieuse pour la confier à des « happy managers ».
Elle a un maître mot la confiance et l’attention portée à l’expertise des salariés concernés."

La loiSanté au Travail” de 2022 prévoit un renforcement du rôle de prévention de l’entreprise. Pouvez-vous nous en dire plus sur les motivations du législateur et les points clés à retenir ?
 
A mon sens, peu d’avancées marquantes : 
  • L’avancement de la visite de pré-reprise peut permettre un retour anticipé et peut-être limiter le risque d’une désinsertion professionnelle. Les autres articles visant à une reprise mieux encadrée vont dans le bon sens.
  • La visite de mi-carrière n’a d’intérêt que d’obliger les services en retard très majoritaires de l’organiser et donc peut-être en la cumulant avec la visite périodique non réalisée d’améliorer le suivi des salariés
  • La visite post exposition est utile
  • La téléconsultation peut améliorer le suivi des salariés notamment depuis le développement du télétravail. Elle ne s’applique pas à tous les métiers.


En tant que médecin du travail, avez-vous constaté ces dernières années une évolution de l’état de santé mentale des salariés ? 
 
La santé psychique des salariés est un sujet majeur avec un accroissement des difficultés parfaitement documenté. Elle est au cœur des débats mais sa prévention reste difficile par manque de connaissance fine au sein de l’entreprise, tant par la formation insuffisante de celles et ceux qui traitent de cette question et d’outils de suivi performants. L’organisation qui est la plus souvent pointée comme génératrice de la souffrance psychique individuelle et/ou collective n’est pas suffisamment interrogée, ni remise cause.
 
 
Quels sont les grands défis à relever pour la médecine du travail ces prochaines années ?
 
L’attractivité d’un métier, celui de médecin auprès des salariés, à la condition de rendre à la prévention son rôle premier, rôle qui est en phase avec l’évolution de la société. La crise Covid a renforcé, notamment au sein des grands groupes et des cellules de crise, la place du médecin du travail souvent invisibilisé, et la nécessité du lien entre la médecine de prévention, la direction, les instances et les salariés.
 
 
Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les Risques Psycho-Sociaux (RPS) au travail et comment les médecins du travail interviennent sur ces problématiques dans les entreprises ?
 
Les RPS sont bien définis mais font l’objet là encore d’une connaissance très imparfaite au sein des entreprises notamment le repérage des signaux dits faibles.
Le médecin du travail a pour mission de suivre un ensemble de salariés collectivement et individuellement mais rarement les moyens (et parfois l’appétence) d’intervenir en amont d’une situation dégradée génératrice de RPS. Il existe souvent des cellules dites RPS certes utiles mais qui n’abordent pas toujours les causes, et je redis là l’importance de l’organisation. Le médecin doit s’impliquer autant que nécessaire et ne pas se contenter de constater, il doit accompagner.
 
 
Quelles ont été vos motivations pour rejoindre le Comité Scientifique Prévana  ?

L’intérêt de la démarche et pour l’outil développé et son évolution. J’ajoute la qualité des intervenants d’Anamnèse très à l’écoute des remarques de l’ensemble des collègues du comité, le tout dans une ambiance à la fois amicale et studieuse. 
 
 

 

Le cadre juridique est-il opérant pour la prise en charge des conséquences du burn-out ? Est-il considéré comme un accident du travail ?
Le « Burn out » n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle et il n’existe pas de tableau pour les maladies psychiques. Ce syndrome entraine des conséquences psychiques qui peuvent donner lieu à une déclaration de maladie à caractère professionnel devant les CRRMP eux-mêmes très insuffisamment dotés en moyens. Beaucoup de salariés fragilisés par leur histoire ne souhaitent pas emprunter ce parcours du combattant avec, entre autres, un verrou qui est le taux d’IPP à 25% pour prétendre à la reconnaissance.
Devant le très faible nombre de dossiers instruits en augmentation cependant (voir derniers chiffres dans bilan de la branche AT-MP), la déclaration en accident du travail a été facilitée depuis quelques années, à hauteur de 10 000 / an (voir chiffre le plus récent).  
A confronter aux dizaines voire centaines de milliers de situations avérées d’épuisement professionnel et à leurs conséquences psychiques.

 

Comment insérer la lutte contre le Burn out dans une politique plus ambitieuse  de qualité de vie au travail ?

Par la vigilance et la critique éventuelle des organisations mises en place, la connaissance de leurs impacts qui passe par le partage en amont d’informations  avec les récipiendaires à savoir les salariés concernés.
Tous les outils permettant le ciblage le plus précoce possible des entités à risque sont les bienvenus à la main des directions RH en lien avec la direction générale et des services de santé au travail.
La QVT est une chose trop sérieuse pour la confier à des « happy managers ». Elle a un maître mot la confiance et l’attention portée à l’expertise des salariés concernés.
La formation et l’implication du management et des managers est l’une des clés de la réussite.

 

L’intégration des risques psychosociaux dans le DUERP est relativement nouvelle. Avez-vous le sentiment que les RH ont les moyens de mener à bien ce travail d’identification et de prévention ?
 
Le DUERP est un outil insuffisamment utilisé bien qu’obligatoire. Il est souvent très détaillé et parfois trop bavard. Le SST a un rôle de conseil à son élaboration coconstruite entre direction et instances représentatives.
 

Pensez-vous que le digital peut être un atout dans la prévention des risques psychosociaux ? 

Oui à la condition de ne pas se contenter de  chiffres et de %. Ils participent très utilement à l’élaboration d’un diagnostic et au suivi d’entités ou de groupes identifiés et anonymisés.
Il appartient ensuite à l’entreprise au travers de tous les acteurs impliqués (dont les SST), de ne pas se satisfaire d’une communication en quadrichromie sur « le bien être » mais de mettre en œuvre toutes les actions pour réduire le mal être au travail.
Cela implique le plus souvent de questionner les organisations, ce qui, au moins dans la culture française, ne va pas de soi. Une avancée législative intéressante serait de l’inscrire au titre des négociations obligatoires.